Le mirage des nouvelles technologies agricoles

Mme Louise Morand de L'Assomption déplore que les nouvelles technologies agricoles visant la serriculture intensive, la robotisation et la numérisation des fermes, ne tiennent pas compte des impacts environnementaux dévastateurs en amont


Le mirage des nouvelles technologies agricoles

Les penseurs les plus sérieux en matière de transition socioécologique sont tous d'avis que, parmi les différentes solutions envisagées pour freiner les crises environnementale et climatique, le développement technologique constitue un maillon faible. En effet, dans sa remarquable étude sur la transition énergétique et numérique, Guillaume Pitron a bien démontré que les nouveaux produits technologiques issus de la robotique, de l’informatique, des biotechnologies et de l’intelligence artificielle, à cause de leur dépendance aux métaux rares, entraînent une destruction environnementale sans précédent, aussi dommageable, sinon davantage, que celle liée aux énergies fossiles qu’ils visent à remplacer.

Au Québec, depuis 2020, le nombre de «claims» miniers a bondi de plus de 400% dans le sud de la province en réponse au plan du gouvernement Legault pour la valorisation des métaux liés à la transition énergétique et aux nouvelles technologies. C’est pourquoi une nouvelle coalition d’associations de protection des lacs demande un moratoire sur ces activités incompatibles avec la protection du territoire. De fait, l’entreprise minière Nouveau Monde Graphite située au nord de Lanaudière, dont l'objectif est de fournir un minerai nécessaire à la fabrication de batteries pour les voitures électriques, trône déjà au triste palmarès des projets les plus destructeurs de milieux humides.

Le parti pris de nos élus pour la technologie reflète les valeurs traditionnelles du capitalisme mondialisé : croissance du PIB, mise en marché de nouveaux produits pour l’exportation, course à l’innovation. Dans cette optique, les crises climatique et environnementale et la transition énergétique sont envisagées d'abord et avant tout comme des occasions d’affaires. C'est cette même idéologie mortifère, unanimement décriée par les penseurs de la transition socioécologique, qui est à l'origine de l’implantation du projet de Zone Agtech dans la MRC de L’Assomption, soit une zone industrielle géolocalisée qui vise à positionner le Québec dans la nouvelle filière des technologies destinées, entre autres, à la serriculture intensive ainsi qu'à la robotisation et à l’informatisation des fermes.

En plus de ses impacts environnementaux dramatiques liés aux matériaux, en plus des émissions de gaz à effet de serre et des besoins gigantesques en énergie et en eau, il faut encore mentionner que la filière Agtech, avec ses coûts très importants, sert avant tout les intérêts des multinationales de l’agrobusiness, des banques et des grandes entreprises de monocultures industrielles, dont les pratiques sont extrêmement dommageables pour l’environnement et le climat. L’économiste Hélène Tordjman a bien documenté les dérives écologiques, économiques et sociales de ces nouvelles technologies agricoles. Et la production pour l’exportation nous éloigne des solutions agroécologiques locales prônées par de nombreux experts pour décarboner l’économie.

Pour favoriser une véritable transition agroécologique, L’Assomption pourrait plutôt accueillir des entreprises de fabrication d’outils agricoles «low tech» destinés à de nouvelles fermes biologiques à échelle humaine, décarbonnées et régénératrices des sols. La municipalité pourrait aussi abriter un centre de transformation alimentaire pour congeler, déshydrater, conserver et valoriser les aliments qui sont produits en abondance localement durant la saison chaude et assurer ainsi la sécurité alimentaire pendant toute l’année. Elle pourrait même aider à faciliter l’installation sur son territoire des travailleurs agricoles venus du Sud, chassés massivement de leurs terres devenues infertiles, et qui se pressent par milliers à nos frontières. Et il resterait encore de la place pour construire des petites serres chauffées au solaire passif, dans le cadre d'une agriculture urbaine respectant le cycle des saisons, et pour planter une forêt nourricière à l'intention des générations qui nous suivront, alors que les pénuries alimentaires frapperont de plein fouet.

En persistant à ignorer les impacts directs et indirects des nouvelles technologies d'une prétendue «économie verte», en continuant de faire des choix en fonction des opportunités du marché plutôt que selon un agenda rigoureux de décroissance énergétique planifiée, de décarbonation et de protection des écosystèmes, les élus et les autres promoteurs des «green tech» alimentent le mirage d’une possible sortie de crise, alors qu’ils nous y enfoncent encore davantage. L’exemple de L’Assomption nous montre que, plus encore que de technologie, c’est d'un supplément d’éducation et de démocratie dont nous avons un urgent besoin si nous voulons parvenir à conserver une Terre habitable.

Louise Morand, L’Assomption



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